Absence d’apport oral au cours du travail obstétrical : fréquence et déterminants à partir de données en population
Position du problème et objectif(s) de l’étude
Depuis 2017, l’HAS recommande l’accès aux liquides clairs aux femmes enceintes en cours de travail à bas risque1. L’amélioration des pratiques d’analgésie et d’anesthésie obstétricale ont significativement réduit le risque d’inhalation pulmonaire2, permettant une libéralisation des pratiques3. Cependant en 2021, 40% des femmes enceintes restaient strictement à jeun pendant le travail selon l’Enquête Nationale de Périnatalité française (ENP)4. Ce résultat suggère l’existence de freins à l’application des recommandations. L’objectif est de décrire en population française, la fréquence du jeun au cours du travail et d’en déterminer les facteurs de risque.
Matériel et méthodes
Nous avons réalisé une analyse secondaire des données de l’ENP 2021 (accords CPP (ID RCB : 2020-A00741-38) et CNIL (DR-2020391 du 31 Décembre 2020)). La population d’étude était constituée des femmes enceintes ayant eu une épreuve du travail et ayant répondu à la question « Avez-vous bu ou mangé pendant le travail ? ». Les facteurs associés au jeun strict (solides et liquides) et ceux associés au jeun aux liquides clairs ont été recherchés par des analyses uni puis multivariées multiniveau starifiées sur la présence d’analgésie péri-médullaire (APM). Une analyse de sensibilité a été conduite avec la même stratégie parmi les femmes à bas risque selon les critères du NICE.
Résultats & Discussion
Parmi les 10192 femmes incluses, 4177 sont restées à jeun durant le travail (41,0%[40,0-41,9]), 5341 avaient bu (52,4%[51,4-53,4]), 674 bu et mangé (6,6%[6,1-7,1]). Les facteurs de risque associés au jeun strict chez les femmes avec une APM étaient : la présentation fœtale non céphalique (OR ajusté 1,65 IC95%[1,05-2,53]), l’antécédent de césarienne (ORa 1,30[1,05-1,60]), l’absence d’accompagnant en salle de naissance (ORa 1,52[1,26-1,85]), la précarité (ORa 1,30[1,09-1,52]), l’origine non européenne (femmes originaires d’Afrique Sub Saharienne : ORa 1,61[1,22-2.14]) et le bas niveau d’étude (ORa 1,17[1,01-1,36] pour un niveau < Bac vs Bac+2), les maternités < 1500 accouchements/an (ORa 1,67[1,17-2,29] vs maternités ≥ 3500 /an), les établissements privés (ORa 1,53[1,23-1,90] vs hôpitaux publics non universitaires), l’absence d’anesthésiste dédié à la maternité (ORa 1,45[1,20-1,76]) et l’absence de salle physiologique (ORa (1,43[1,17-1,74]). Parmi les femmes sans APM, les facteurs de risque étaient : l’âge < 30 ans (ORa 1,50[1,11-2,01]), le surpoids (ORa 1,46[1,07-1,98]), l’antécédent de césarienne (2,70[1,43-5,06]), l’absence d’accompagnant (ORa 1,57[1,05-2,34] et la précarité (ORa 2,31[1,56-3,42]). Ces résultats étaient similaires dans l’analyse restreinte aux patientes à bas risque ainsi que dans l’analyse des facteurs associés à l’absence uniquement de boissons.
Conclusion
En France en 2021, plus d’un tiers des femmes restaient à jeun strict durant le travail. Au-delà des situations à risque d’anesthésie générale ou de césarienne en cours de travail, nos résultats suggèrent une inégalité d’accès aux apports oraux impliquant des caractéristiques socio-économiques. Par ailleurs, il semblerait que les recommandations soient moins appliquées dans les maternités de petite taille, sans salle physiologique et de statut privé, sans anesthésiste dédié. Ces facteurs méritent d’être pris en considération pour faire évoluer les pratiques vers une prise en charge respectant les recommandations et garantissant la sécurité des femmes.
Auteurs
Mégane RAINEAU (1) , Camille LE RAY (1), Catherine FISCHER (1), Marie-Pierre BONNET (2) - (1)Maternité Port Royal, Paris, France, (2)Sorbonne Université Anesthésie Reanimation Armand Trousseau Aphp, Cress Inserm Umr1153, Équipe Oppale Paris France, Paris, France