Antalgie pré-opératoire en anesthésie, un état des lieux national
Position du problème et objectif(s) de l’étude
Les effets du changement climatique sur la santé sont bien établis, l'influence du secteur de la santé sur l'environnement reste encore sous-exploré. Ce domaine contribue entre 6,6 et 10 % de l’empreinte carbone nationale, représentant environ 40 à 61 millions de tonnes de CO₂ équivalent. 87 % des émissions proviennent de sources indirectes, principalement associées aux médicaments (29 %) et aux dispositifs médicaux (21 %). Incorporer des pratiques plus écoresponsables dans les soins de santé est incontournable pour renforcer la résilience du système de santé. Nous avons donc centré notre recherche sur l'utilisation d'antalgiques oraux en période préopératoire, considérée comme une alternative plus écoresponsable à l'administration intraveineuse durant la chirurgie. Étant donné la diversité des pratiques de prémédication, nous avons mené une enquête nationale pour établir un état des lieux.
Matériel et méthodes
Cette étude ne nécessitait aucune procédure invasive ni changement dans les pratiques en cours, l'avis d'un comité d'éthique n’a pas été sollicité. Un questionnaire normalisé de 11 items a été distribué via le réseau de la SFAR et par courriel aux établissements de santé publics et privés. Une analyse descriptive a permis d'examiner les profils des répondants et leurs pratiques d'analgésie péri-opératoire.
Résultats & Discussion
Un total de 402 professionnels a répondu à notre enquête. 237 (58 %) prescrivent des antalgiques oraux en préopératoire. L'utilisation de cette pratique augmente avec l'expérience : 44 % chez ceux ayant moins de 5 ans d'expérience, 54 % entre 5 et 10 ans, 56 % entre 10 et 20 ans, et 76 % après 20 ans d’expérience. En fonction du type d'établissement, la pratique varie : 55 % en CHU, 61 % en CHR, 65 % en établissement privé et 77 % en activité mixte. Les principaux obstacles identifiés incluent : un manque d'habitude (72,6 %), l'absence de protocoles formalisés (43,5 %), la peur d'une efficacité réduite (9,7 %) et le risque d'inhalation (8,1 %). Parmi les anesthésistes pratiquant l’antalgie orale préopératoire, 55 % suivent un protocole. Les molécules les plus utilisées sont : Paracétamol (92,2 %), AINS (75,8 %), Gabapentinoïdes (18,3 %), Néfopam (16,3 %), Tramadol (9,8 %). L’efficacité de l’administration d’une antalgie orale préopératoire n’est plus à démontrer. Des études récentes ont montré que son impact carbone était 30 fois inférieur à une administration intraveineuse. Pourtant seulement 50 % des établissements de santé en France la pratique. Les résultats de cette enquête soulignent l’importance de l’expérience professionnelle et de la diversité de l’exercice. Les freins relevés dans notre enquête mettent en lumière des lacunes dans la formation initiale ainsi qu'un manque de protocoles standardisés. Il est important d'élaborer des référentiels nationaux, de promouvoir des protocoles locaux, et d'intégrer cette pratique dans les programmes de formation pour en faciliter l'adoption. La prémédication orale représente une stratégie simple, efficace et sécuritaire permettant de réduire considérablement la production de déchets et l'utilisation de matériel à usage unique au bloc opératoire.
Conclusion
La prescription d’une antalgie orale en préopératoire reste sous utilisée en lien avec des obstacles organisationnels et culturels. L’expérience et la diversité des pratiques favorisent son intégration. Il est essentiel de structurer, former et sensibiliser les professionnels afin d'encourager une transition vers cette pratique.
Auteurs
Mehdi SERGHINI, Stephanie DERYCKERE - (1)Chu De Caen, Caen, France