Moins, c’est mieux ? Une restriction hydrique modérée réduit les complications respiratoires après chirurgie pulmonaire
Position du problème et objectif(s) de l’étude
Les complications pulmonaires postopératoires (PPC) restent la principale cause de morbidité après résection pulmonaire, que l’intervention soit réalisée par thoracotomie ou par voie mini-invasive (VATS/RATS). Malgré les progrès de la chirurgie et de l’anesthésie, leur incidence reste élevée, estimée entre 20 et 30 %. Parmi les facteurs de risque modifiables, la gestion des fluides peropératoires est régulièrement évoquée, mais le seuil optimal d’infusion reste débattu. Objectif: Identifier un seuil clinique pertinent de débit d’infusion peropératoire en mL·kg⁻¹·h⁻¹ au-delà duquel le risque de PPC augmente significativement, en utilisant une approche méthodologique robuste incluant une pondération sur score de propension (AIPTW)
Matériel et méthodes
Nous avons mené une étude rétrospective monocentrique portant sur 583 patients adultes ayant bénéficié d’une chirurgie pulmonaire élective (lobectomie, segmentectomie, wedge, pneumonectomie), entre janvier 2019 et janvier 2022. L’exposition principale était le débit d’infusion peropératoire (mL·kg⁻¹·h⁻¹). Le critère de jugement principal était la survenue de PPC dans les 30 jours, incluant : atélectasie nécessitant traitement, pneumonie, épanchement pleural, ou embolie pulmonaire. L’analyse statistique comprenait une modélisation multivariée ajustée, complétée par une pondération sur score de propension pour limiter les biais de sélection.
Résultats & Discussion
Le taux global de PPC était de 27 %. Les principales complications incluaient : atélectasie nécessitant traitement (55 %), pneumonie (53 %), détresse respiratoire (22 %), ventilation non invasive (10 %), bronchoscopies répétées (60 %). Le seuil optimal d’infusion identifié par l’analyse ROC était de 4.5 mL·kg⁻¹·h⁻¹ (AUC = 0.71 ; p < 0.001). Les patients au-dessus de ce seuil présentaient une augmentation significative du risque de PPC (OR ajusté : 2.55 [2.1–4.3] ; p < 0.001). Après exclusion des scores extrêmes (règle de Crump), l’analyse par score de propension portait sur 442 patients. L’association entre débit >4.5 mL·kg⁻¹·h⁻¹ et PPC persistait (OR pondéré : 1.13 [1.04–1.26], p = 0.020). Dans cette population pondérée : le taux de PPC était de 23 % ; la durée moyenne de séjour hospitalier augmentait de +4,3 jours (p < 0.001) chez les patients au-dessus du seuil ; la durée moyenne en USC était prolongée de +45 heures (p < 0.001) ; aucun sur-risque significatif d’AKI (p = 0.86) ni de mortalité à J28 (1 % vs 1.3 %, NS) n’était observé. Parmi les variables associées de façon indépendante aux PPC figuraient : tabagisme actif (OR 2.5 [1.78–2.90], p < 0.01), BPCO GOLD ≥2 (OR 1.86 [1.31–1.99], p = 0.019), Maladie rénale chronique (OR 2.61 [1.90–2.90], p = 0.009), Score ARISCAT > 45, Voie chirurgicale par thoracotomie (p = 0.052). Les patients ayant reçu >4.5 mL·kg⁻¹·h⁻¹ avaient significativement plus d’infections pulmonaires (51 % vs 0 %), d’atélectasies (70 % vs 0 %), de détresses respiratoires (22 % vs 0 %), et plus de réinterventions chirurgicales (7 % vs 1.5 %).
Conclusion
Un débit peropératoire ≥4.5 mL·kg⁻¹·h⁻¹ constitue un facteur de risque indépendant de PPC, sans effet délétère sur la fonction rénale. Ce seuil pourrait guider une stratégie de perfusion modérément restrictive. Une validation prospective est nécessaire, notamment en chirurgie mini-invasive
Auteurs
Yoann ELMALEH, Karim GUESSOUS - (1)Quincy Anesthésie, Quincy Sous Senart, France