19 septembre 2025
313-314

Des symptômes dépressifs en réanimation : état des lieux et prises en soins

Position du problème et objectif(s) de l’étude

Des symptômes d’anxiété, de dépression, de confusion en réanimation sont décrits dans la littérature, souvent expliqués par le caractère inédit de la situation. Or la dépression est particulièrement difficile à diagnostiquer en réanimation, du fait du contexte, et de facteurs confondants, ne permettant pas de remplir les critères de diagnostic définis par les nomenclatures en vigueur (CIM/DSM). Aussi il n’y a aucune recommandation de prise en charge, alors même que l’émergence de symptômes dépressifs pendant la réanimation aurait des conséquences importantes sur le parcours de soins, le risque de mortalité, ou l’émergence d’un syndrome post-réanimation. L’objectif de cette étude était 1/ de décrire les manifestations des syndromes dépressifs repérés par les soignants en réanimation ; 2/ de décrire les pratiques actuelles dans les services de réanimation en France pour évaluer et prendre en charge ces affects dépressifs.

Matériel et méthodes

L’étude ESPRIT, étude observationnelle, transversale, multicentrique, incluant 128 centres de réanimation et 2063 patients, portant sur la sédation, l’analgésie et l’inconfort, du 05 au 18 février 2024, a décrit les symptômes dépressifs des patients à l’aide des critères du DSM 5 et de l’évaluation clinique des médecins. Puis une étude ancillaire qualitative a inclus 11 médecins réanimateurs, qui ont participé à un entretien semi-directif permettant de mieux percevoir la complexité de cette problématique dans leur exercice quotidien.

Résultats & Discussion

De l’étude ESPRIT, il est ressorti que sur 1314 patients évaluables, les mouvements dépressifs concernaient 18% des patients (n=241), selon l’évaluation clinique des médecins. Bien qu’ils soient estimés adaptés à la situation du patient dans 95% des cas (n=227), ceux-ci semblaient souvent entraver la prise en soin du patient (57% -n=135). En revanche, selon les critères du DSM, seuls 5,8% présentaient effectivement un trouble dépressif majeur (n=14), qui se manifestait essentiellement par 1) une humeur dépressive, 2) une fatigue ou une perte d’énergie, 3) une diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir. Sur l’ensemble des patients évaluables, près de 20% des patients prenaient un traitement psychotrope (n=277) ; dont 56% pour des antécédents de dépression (n=155). Celui-ci a été interrompu à l’entrée en réanimation pour 39% des patients (n=109), maintenu pour 39% d’entre eux (n=107), et partiellement maintenu pour 20% d’entre eux (n=61). Outre cette prise en charge médicamenteuse, 15% de ces patients souffrant psychiquement auraient rencontré un psychiatre en réanimation (n=36) et 46% un psychologue (n=109). Les entretiens avec les médecins ont permis de décrire la dépression en réanimation, ses risques et les enjeux de la prise en soins, via 5 thèmes et 19 sous-thèmes ; amenant à considérer ces symptômes dépressifs sur un continuum du normal au pathologique, appelant alors des traitements différents. Le manque d’outils d’évaluation rend le diagnostic compliqué voire subjectif. L’impact sur la prise en soins, et l’engagement d’enjeux éthiques complexes sont aussi relevés.

Conclusion

L’écart entre les prévalences observées est questionnable, de même que la pertinence des critères du DSM dans un contexte tel que celui de la réanimation. L’absence de recommandations de prise en charge donne lieu à une large diversité des pratiques qui interpelle d’autant plus qu’une inquiétude semble partagée par les médecins sur l’impact que ces mouvements dépressifs pourraient avoir sur le séjour de réanimation.

Auteurs

Pauline BUGEON (1) , Florian BLANCHARD (2), Anne-Laure POUJOL (2) - (1)Curie, Paris, France, (2)Aphp, Paris, France

Orateur(s)