Clampages hépatiques intermittents et hyperglycémie postopératoire : une association à fort impact clinique
Position du problème et objectif(s) de l’étude
La manœuvre de Pringle, qui consiste en un clampage intermittent du pédicule hépatique, est un geste utilisé en chirurgie hépatique et qui contribue au contrôle de l'hémostase. Néanmoins, cette interruption temporaire de la vascularisation hépatique entraîne des phénomènes d'ischémie-reperfusion qui activent la néoglucogénèse et/ou la glycogénolyse hépatique et modifient possiblement la sensibilité à l'insuline. Des études ont démontré les hyperglycémies peropératoires qui y sont associées mais aucune d'entre elles n'a étudié la possible persistance postopératoire de ces hyperglycémies.
Matériel et méthodes
Notre étude, rétrospective et monocentrique, inclus 163 patients bénéficiant d'une chirurgie hépatique entre décembre 2019 et juillet 2022 au CHU de Liège. La manœuvre de Pringle était utilisée dans environ 2/3 des cas, correspondant aux 107 patients de la cohorte "Pringle". Un test statistique préalable a estimé la puissance de notre étude à 98.3% (α = 0.05). Le critère principal étudie l'incidence des hyperglycémies postopératoires >180 mg.dL-1 au cours des premières 24 heures postopératoires et les critères secondaires, la morbidité globale et infectieuse, les durées de séjour ainsi que les taux de réadmissions et de mortalité à 30 et 90 jours. Pour répondre de manière robuste à notre critère principal, une analyse multivariée avec interaction a été effectuée, intégrant les facteurs cliniquement pertinents autre que le clampage : âge, diabète, laparotomie, score ASA, corticoïdes, stéatose hépatique.
Résultats & Discussion
L'hyperglycémie postopératoire était significativement plus fréquente dans le groupe Pringle (55,1 % vs 23,2 %, P<0,001). Le clampage était un facteur de risque indépendant d'hyperglycémie postopératoire (OR=2,91 ; IC95% [1,06-8,92] ; P=0,046). Le diabète était également un facteur de risque majeur (OR=10,00 ; IC95 % [1,97-60,73] ; P=0,007). Les autres facteurs, dont la laparotomie, n'en étaient pas. Aussi, une analyse de médiation démontre que l'effet du clampage sur l'hyperglycémie postopératoire était probablement médié par l'hyperglycémie peropératoire. La morbidité infectieuse était plus élevée (23,4% vs 5,4%, P=0,007) et les durées médianes de séjour plus longues (4 [2-8] vs 2 [1-6] jours, P=0,003) dans le groupe Pringle. Il n'y avait pas de différences en termes de réadmissions et mortalité à 30 et 90 jours.
Conclusion
Cette étude explore un peu plus les conséquences métaboliques des clampages hépatiques intermittents parfois utilisés lors d'hépatectomies. Nos résultats montrent que les hyperglycémies induites par les manœuvres de Pringle persistent en postopératoire et pourraient donc contribuer à une augmentation de la morbidité, à fortiori infectieuse, et à une augmentation des durées d'hospitalisation. Cela devrait motiver l'instauration de stratégies de gestion glycémique périopératoire ciblées et adaptées en cas de manœuvres de Pringle. Aussi, l'utilisation d'outils modernes d'anticipation de ces hyperglycémies, ainsi qu'une optimisation métabolique préopératoire (préhabilitation, nutrition), pourraient contribuer à en perfectionner la prise en charge. En conclusion, cette étude renforce un peu plus le rôle de l'anesthésiste-réanimateur comme acteur clé de la gestion globale, et donc métabolique, du patient bénéficiant d'une chirurgie hépatique. En conclusion, cette étude renforce un peu plus le rôle de l'anesthésiste-réanimateur comme acteur clé de la gestion globale, et donc métabolique, du patient bénéficiant d'une chirurgie hépatique.
Auteurs
Olivier JACQUEMIN, Gabriel THIERRY, Florian BECK, Pierre-Yves HARDY, Abdourahmane KABA, Morgan VANDERMEULEN, Jean JORIS, Olivier DETRY, Vincent BONHOMME - (1)Chu Liège, Liège, Belgique